Frères et sœurs,
C’est le moment favorable, c’est le moment du salut. Le Jubilé, antique pratique de l’Église enracinée dans la longue tradition biblique, est un don spécial de la grâce de Dieu qui s’adresse à chacun, au peuple de Dieu que nous formons dans l’Aube, avec le pardon des péchés et l’expérience la plus élevée de la miséricorde de Dieu.
C’est le moment favorable dans une humanité qui a été marquée par l’épidémie de la Covid, la mort de tant de personnes dans la solitude, l’incertitude, le caractère provisoire de notre existence, et cette crise a laissé des traces. C’est le moment favorable alors que les conflits se multiplient, notamment dans la Terre que Dieu a choisie pour venir au monde, pour manifester le mystère de l’Incarnation. Aujourd’hui, Marie et Joseph sont en pèlerinage à Jérusalem et vivent l’épreuve de croire avoir perdu leur enfant. La douceur de Nazareth n’enlève pas l’épreuve, l’inquiétude ; mais Marie traverse cette épreuve en croyante : « Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements ».
C’est le moment favorable alors que notre pays connaît l’incertitude politique, les violences verbales, les surdités sociales, les mensonges relayées par nos moyens de communication, les jugements aprioristiques, les rejets de celui qui est différent, la tentation de la pensée unique, l’inquiétude de l’avenir, la fragilité du temps présent, l’oubli d’une partie de l’histoire de notre pays.
C’est le moment favorable alors que notre Église diocésaine est en chemin pour constituer des communautés de disciples de Christ qui vivent et témoignent de l’Évangile sur notre territoire, malgré la fragilité de nos moyens et le petit nombre des ouvriers à la moisson.
C’est le moment favorable pour accueillir la grâce de Dieu et entrer dans l’espérance, pour avancer ensemble en pèlerins de l’espérance, pour être une Église synodale où chacun prend part à la mission que le Christ a confiée à son Église, selon son état de vie, sa vocation, la responsabilité confiée.
C’est le moment favorable pour garder allumée la flamme de l’espérance qui nous a été donnée au jour de notre baptême et que l’Esprit, qui nous a été conféré lors de la confirmation, ne cesse de ranimer afin que nous soyons ancrés dans l’amour de Dieu qui jaillit du cœur transpercé de Jésus. « L’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5).
C’est le moment favorable pour faire une rencontre vivante et personnelle avec le Seigneur Jésus qui se présente à nous comme la « porte » du salut, notre espérance, Lui qui a manifesté son amour en se donnant totalement, comme le rappelle la croix que nous avons vénérée. Si beaucoup de nos contemporains « sont découragés, regardent l’avenir avec scepticisme et pessimisme », nous sommes le peuple qui est habité par l’espérance. Oh, non pas l’espoir des lendemains meilleurs de ceux qui se laissent bercer par les illusions des faux prophètes qui annoncent avoir la solution ; mais l’espérance des fidèles du Christ qui apportent un peu de paix comme le patriarche latin de Jérusalem le rappelait il y a quelques jours sur les ruines de Gaza.
Nous reprenons avec force les mots de l’apôtre Paul qui n’a pas été épargné par les épreuves, jusqu’à sa condamnation et sa mort à Rome : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? […] Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 35.37-39).
L’espérance n’enlève pas les épreuves : « Nous mettons notre fierté dans la détresse elle- même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance » (Rm 5, 3-4). Afin que les épreuves soient une crise qui nous ouvre à une réalité plus grande, Dieu nous invite à vivre trois inclinations profondes de l’âme qui nous enracinent en Dieu lui-même : « Quel que soit le genre de vie, on ne peut vivre pas sans ces trois inclinations de l’âme : croire, espérer, aimer » (saint Augustin).
C’est le moment favorable pour redécouvrir la force et la puissance de la foi. Nous fêterons le 1700e anniversaire du premier grand Concile Œcuménique, celui de Nicée ; ce concile a été célébré « pour préserver l’unité menacée par la négation de la divinité de Jésus-Christ et de son égalité avec le Père ». 300 évêques présents, convoqués par l’Empereur Constantin, le 20 mai 325. « Par la grâce de l’Esprit Saint, ils se sont tous reconnus dans le Symbole de la foi » que nous proclamons chaque dimanche. C’est une invitation à « s’unir à la Sainte Trinité, particulièrement à Jésus-Christ qui est “consubstantiel au Père” ». Le Jubilé et cet anniversaire de Nicée nous exhortent à l’unité, à faire confiance à l’Église, aux évêques réunis autour du Pape, comme lors du Concile Vatican II, pour ne pas retomber dans la désunion qui a prévalu avant le Concile de Nicée. Certains sont tentés par une vie chrétienne en dehors de l’Église, estimant que leur conception de Dieu ou de la manière de servir Dieu est plus juste que l’ensemble de l’Église ; c’était l’erreur d’Arius que le Concile de Nicée a condamnée comme n’étant pas fidèle à Dieu. Vivons dans la confiance pour accueillir l’espérance de Dieu.
C’est le moment favorable pour vivre la patience dans un monde qui va très vite et qui est particulièrement impatient. Dans un monde d’impatience, de rapidité, Dieu nous invite à la patience, patience qui permet de cultiver l’espérance. La précipitation abîme la patience, conduit à l’intolérance, à la nervosité, à la violence ; dans l’écoute de l’autre, il y a beaucoup de surdité. On pense avoir vite compris et on passe à autre chose, ne donnant pas de chance à la parole de l’autre de se frayer un chemin dans notre cœur. Redécouvrir la patience, la patience de la création, la patience de nos relations humaines, la patience du synode. « Il est le Dieu de la persévérance et du réconfort » (Rm 15, 5).
C’est le moment favorable pour aimer comme Dieu, non pas avec des paroles et des discours, mais en actes et en vérité. L’année jubilaire est le chemin pour vivre la rencontre avec le Seigneur Jésus, chemin qui conduit à la réconciliation, à la paix intérieure, à la vie renouvelée. Un chemin de discernement avec des missionnaires de la miséricorde que je vais envoyer afin qu’ils puissent accueillir les chrétiens qui vivent une situation complexe, comme les personnes divorcées et engagées dans une nouvelle union. Ces missionnaires seront chargés de réaliser un discernement intérieur qui puisse conduire les personnes à vivre le sacrement de pénitence, et, avec le discernement de la communauté paroissiale conduit le curé, cheminer vers la communion sacramentelle. C’est l’une des grâces jubilaires de la miséricorde et ce n’est pas nouveau, saint Célestin V a déjà proposé le grand pardon en 1294. Puis Honorius III l’accorde en 1216 à saint François pour ceux qui visitent la Portioncule, comme Calixte II en 1122 pour ceux qui vont à Saint-Jacques de Compostelle.
Accueillir la miséricorde est également vivre la miséricorde ; si la paix est le don de Dieu, Dieu attend que nous accomplissions des gestes de paix. Cette année jubilaire est le moment du salut pour vivre la réconciliation entre nous, la réconciliation dans les familles, la réconciliation dans nos paroisses, dans notre vie diocésaine, les dettes que nous gardons à l’égard des autres : vivre la grâce de la libération pour goûter pleinement à l’amour qui jaillit du cœur de Dieu. Il y a parfois de vieilles rancœurs qui demeurent : elles nous semblent toujours légitimes et nous ne voulons pas lâcher le ressenti à l’égard de ceux qui nous ont fait du mal. Le jubilé est le moment favorable pour y mettre fin. Ceux qui se font « artisans de paix » sont « appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9).
Le jubilé nous invite à retrouver une alliance sociale pour l’espérance qui soit « inclusive et non idéologique » : l’année dernière, nous avons travaillé la vie de nos communautés. Pour accomplir la mission de Dieu, pour être témoins du salut de Dieu, nos communautés doivent être accueillantes à chacun, quel qu’il soit, et témoigner dans le monde de la charité qui nous vient du Christ.
Être des signes tangibles de l’espérance pour ceux qui vivent des moments de détresse ; nous vivrons notamment un temps de Jubilé dans les prisons, les hôpitaux, les maisons de retraite.
« Œuvres d’espérance qui réveillent dans les cœurs des sentiments de gratitude ».
« Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays » (Lv 25, 10). « Le Seigneur m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61, 1-2). « L’année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 18-19).
C’est le moment favorable pour avancer en pèlerins de l’espérance. Le pèlerinage : « à pied, nous redécouvrons la valeur du silence, de l’effort, de l’essentiel » ; nous posons un autre regard sur le monde qui nous entoure, sur les personnes qui sont à nos côtés. D’où le pèlerinage à Rome au mois d’octobre prochain, mais également les pèlerinages dans notre diocèse : Saint-Joseph des Anges à Villeneuve-au-Chemin, Notre-Dame du Chêne à Bar-sur- Seine pour la fête de la Nativité de Marie, et Notre-Dame de la Sainte-Espérance à Mesnil- Saint-Loup.
L’Église nous invite à recevoir la grâce de l’indulgence. Malheureusement, le dévoiement des indulgences dans l’histoire nous a fait passer à côté de ce grand don du Seigneur. Si l’histoire a perverti la compréhension de l’indulgence, l’année jubilaire nous invite à redécouvrir l’indulgence qui nous donne à percevoir combien la miséricorde de Dieu est sans limite, infinie. Le sacrement de pénitence nous assure que Dieu nous pardonne nos péchés mais le péché laisse des traces, internes et externes. L’indulgence nous est donnée par la grâce du Christ qui est notre indulgence, qui élimine ces traces pour nous donner la liberté. Cette indulgence sera vécue par les pèlerins qui iront à Rome ; mais elle sera donnée également aux fidèles qui participeront aux pèlerinages dans les trois sanctuaires diocésains, qui vivront une démarche spirituelle dans l’une des cinq églises jubilaires de notre diocèse : la cathédrale, la basilique, les trois sanctuaires diocésains.
Frères et sœurs, c’est le moment favorable, l’année de grâce. Ensemble, pèlerins de l’espérance, goûtons ce don de Dieu, que cette année soit source de multiples bienfaits.
Monseigneur Alexandre Joly
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