Homélie pour le Jubilé des 150 ans des Oblats de saint François de Sales – Ordinations presbytérales et diaconales

27e dimanche du temps ordinaire, année C
Habacuc 1,2-3 ; 2,2-4 ; 2 Timothée 1,6-8.13-14 ; Luc 17,5-10

« Augmente en nous la foi ! » – La confiance en Dieu

« Augmente en nous la foi ! » (Lc 17, 5). Cette prière des apôtres résonne comme un écho de nos propres interrogations face aux défis de notre temps. Quand les apôtres demandent à Jésus d’augmenter leur foi, ils expriment leur sentiment d’insuffisance devant la mission qui leur est confiée ; Jésus venait d’inviter ses disciples à pardonner en toute circonstance, même si le frère a recommencé sa faute. La réponse de Jésus est surprenante : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous diriez à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait » (Lc 17, 6). Il ne s’agit pas d’une quantité de foi, mais de sa qualité – une foi qui est avant tout confiance absolue en Dieu, même dans les situations qui semblent sans issue.

Le bienheureux Louis Brisson a vécu cette confiance radicale. Lorsqu’il fonda la Congrégation des Oblats de saint François de Sales en 1875, il dut affronter de nombreuses difficultés : incompréhensions, résistances, manque de moyens. Pourtant, comme saint François de Sales avant lui, il persévéra dans la prière et l’abandon à la Providence. Saint François de Sales nous rappelle : « La foi n’est pas une simple croyance, mais une confiance totale en Dieu qui nous porte comme un enfant dans les bras de son père » (François de Sales, Introduction à la vie dévote, IV, 13). Cette confiance n’est pas un naïf optimisme, mais une certitude ancrée dans l’expérience de la fidélité de Dieu.

La foi dont parle Jésus est celle qui permet de voir au-delà des apparences, qui discerne l’action de Dieu même dans les impasses. Comme le prophète Habacuc dans la première lecture : « Jusqu’à quand, Seigneur, vais-je crier sans que tu entendes ? » (Ha 1, 2). La réponse de Dieu n’est pas toujours immédiate, mais Il agit dans le silence et la patience. « Le juste vivra par sa foi » (Ha 2, 4). En ce jubilé, cette parole nous est adressée : Dieu continue d’agir dans notre histoire, même quand nous ne voyons pas encore les fruits de notre engagement.

Cette confiance se nourrit de la prière et de la mémoire des merveilles de Dieu. Elle nous invite à nous souvenir que « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37). Quand tout semble bloqué, quand les défis paraissent insurmontables, la foi nous rappelle que Dieu écrit droit avec nos lignes brisées. Elle nous pousse à dire avec saint Paul : « Je peux tout en Celui qui me fortifie » (Ph 4, 13).

Saint François de Sales nous encourage : « Ne vous troublez point, ne vous effrayez point ; les enfants de Dieu sont toujours bien gardés. Il ne faut qu’une foi vive, une espérance ferme, une charité ardente, et une persévérance inébranlable » (Lettre du 4 octobre 1604, à Sainte Jeanne de Chantal). Cette foi vivante est notre force dans les moments d’épreuve.

« Nous sommes des serviteurs inutiles » – L’humilité du ministère

« Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir” » (Lc 17, 10). Cette parole de Jésus peut nous surprendre, voire nous choquer. Comment pouvons-nous être “inutiles” alors que nous sommes appelés à un ministère aussi important ?

En réalité, Jésus nous invite à une humilité profonde. Le terme grec utilisé ici, doulos, désigne un serviteur qui appartient entièrement à son maître. Dans la tradition biblique, le serviteur n’est pas inutile – il est indispensable à l’accomplissement de la mission de son maître. Mais il ne s’attribue pas la gloire de ce qu’il accomplit. Comme le chien du troupeau, il ne ramène pas les brebis à lui, mais les conduit vers le Berger.

Cette attitude est au cœur du ministère ordonné. Les prêtres et les diacres ne sont pas les propriétaires de leur mission, mais des serviteurs du Christ. Leur fécondité ne vient pas de leurs talents ou de leurs efforts, mais de leur disponibilité à laisser Dieu agir en eux. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

Saint François de Sales nous offre une belle image de cette humilité : « L’âme doit être comme un vase transparent, laissant passer la lumière de Dieu sans la retenir pour elle-même » (Traité de l’amour de Dieu, IX, 13). Notre valeur ne vient pas de ce que nous faisons, mais de ce que Dieu fait à travers nous.

C’est aussi le sens du choix du célibat et de l’engagement à la chasteté qui doit imprégner toutes nos relations : les personnes que nous servons dans notre ministère ne nous appartiennent pas. Nous sommes au service d’un Autre, de Dieu lui-même, le Berger véritable. Cette compréhension de nous-mêmes comme “de simple serviteurs” nous invite à une véritable liberté intérieure.

Le ministère, un don gratuit et charismatique

Le ministère ordonné n’est pas une fonction que l’on pourrait exercer par nos propres forces. C’est un don gratuit de Dieu, un charisme qui nous est confié pour le service de l’Église. « Ravive le don gratuit de Dieu qui est en toi » (2 Tm 1, 6), écrit saint Paul à Timothée.

Benoît XVI, alors cardinal Ratzinger, dans une célèbre conférence lors de la Pentecôte 1998, soulignait que « le ministère ordonné n’est pas une réalité que l’Église pourrait disposer à son gré, comme un élément qu’elle aurait institué elle-même. Il se réalise à travers un appel de l’Église qui vient seulement en réponse à un premier appel de Dieu ».

L’imposition des mains, que recevront nos nouveaux prêtres et diacres, est le signe visible de cette consécration. Ce geste, qui remonte aux premières communautés chrétiennes (Ac 6, 6 ; 1 Tm 4, 14), exprime la transmission de l’Esprit Saint. Il ne s’agit pas d’une promotion humaine, mais d’une effusion de l’Esprit qui configure le ministre ordonné au Christ Tête et Pasteur.

Ce don est immérité. Nous ne sommes pas ordonnés parce que nous le méritons, mais par pure miséricorde de Dieu – “miserando atque eligendo”, comme le rappelait la devise du pape François. Si nous ne ravivons pas ce don, notre ministère risque de devenir une organisation, un simple exercice de fonctions. Mais si nous l’accueillons avec gratitude, il devient une source de vie pour l’Église et pour le monde.

Le ministère ordonné est de l’ordre du charisme. Il ne s’agit pas tant d’une dimension institutionnelle que d’un don de l’Esprit Saint. Comme le disait saint Paul : « Il y a diversité de dons, mais c’est le même Esprit » (1 Co 12, 4). Chaque prêtre, chaque diacre reçoit des dons particuliers pour le service de la communauté.

Saint François de Sales nous rappelle : « Dieu ne regarde pas tant à la grandeur des œuvres que nous faisons, qu’à l’amour avec lequel nous les faisons » (cf. Traité de l’amour de Dieu, X, 6). C’est cet amour, cet Esprit d’amour, qui fait la véritable fécondité de notre ministère.

L’obéissance, écoute du Père

« Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34). Ces paroles de Jésus résument toute sa mission. L’obéissance n’est pas une soumission aveugle, mais l’écoute attentive de la volonté de Dieu.

Cette obéissance est exigeante, car elle nous demande de nous détacher de nos propres projets pour suivre le Christ. « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père » (Jn 5, 19). Mais elle est aussi libératrice, car elle nous arrache à notre égoïsme et nous unit à la mission du Christ.

Dans un monde où l’on cherche le pouvoir et l’autonomie, l’obéissance évangélique est un témoignage prophétique. Elle nous rappelle que nous ne sommes pas les maîtres de notre vie, mais des serviteurs de l’Évangile. « Qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé a la vie éternelle » (Jn 5, 24).

Cette obéissance se vit concrètement dans l’écoute de l’Église, dans la fidélité à l’évêque et au supérieur, dans l’acceptation des missions qui nous sont confiées. Elle se vit aussi dans les petites choses du quotidien, dans l’attention aux plus pauvres, dans le service humble et désintéressé.

« Ravive le Don que tu as reçu » (2Tm 1, 6) : le ministère ordonné ne nous donne pas une supériorité, mais l’Esprit Saint lui-même, et l’Esprit fait ce qu’Il veut. Il s’agit d’un don, d’un charisme : le ministre doit toujours se référer à la source, au Don lui-même qu’est l’Esprit Saint. Le bon exercice du ministère conduit à repousser la tentation de s’ériger en institutionnels, en hommes de pouvoir, en sachants, en hommes établis dans notre responsabilité : nous ne sommes que de simples serviteurs du Don. C’est ce qui nous conduit à accueillir la mission qui nous est donnée, quelle qu’elle soit : dès que nous résistons, dès que nous refusons, soit nous sommes concentrés sur notre bien personnel au lieu de vivre l’abandon de soi, soit nous sommes concentrés sur notre conception du ministère et sur notre situation établie, et nous ne sommes plus au service du Don de l’Esprit Saint.

Comme le chien du troupeau, le ministre ordonné doit être attentif à la voix du Maître et prêt à se mettre en mouvement pour accomplir sa volonté. Cette obéissance n’est pas une contrainte, mais une source de joie, car elle nous unit au Christ qui a obéi jusqu’à la croix.

Saint François de Sales nous enseigne : « Car voici la règle générale de notre obéissance écrite en grosses lettres : il faut tout faire par amour, et rien par force ; il faut plus aimer l’obéissance que craindre la désobéissance » (Lettre à sainte Jeanne de Chantal).

Accomplir le ministère en simples serviteurs nous conduit à mettre en œuvre la douceur qui caractérise Jésus lui-même : « Je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Accomplir son ministère avec une grande douceur et une profonde compassion envers ceux qui souffrent. « La douceur est plus forte que la force, et l’amour plus puissant que la violence. Rien n’est si fort que la douceur, rien si doux que la force véritable » (Traité de l’amour de Dieu, XII, 13), écrivait saint François de Sales.

La grâce jubilaire – Un temps de renouveau

Ce jubilé des 150 ans de la Congrégation des Oblats de saint François de Sales est un temps de grâce pour nous tous. « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5). Il nous invite à rendre grâce pour le chemin parcouru, raviver votre charisme, mettre en œuvre la conversion et vous engager avec audace dans la joie de l’Esprit. Ce jubilé rejaillit aujourd’hui sur le diocèse de Troyes et le diocèse de Medellín.

« Seigneur, augmente en nous la foi ! » (Lc 17, 5). Que ce jubilé soit pour nous un temps de renouveau, que les ordinations de nos trois frères prêtres et de nos deux frères diacres nous stimulent dans notre engagement au service du Christ, de son Église et de tous ceux dont nous croisons la route. Que l’Esprit Saint nous donne la force de vivre pleinement notre vocation, dans la confiance, l’humilité et la miséricorde.

Alexandre Joly, évêque de Troyes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Que cherchez-vous ?

Accéder au formulaire de contact

Demander un certificat de baptêmes 

Lèguer ou donner au Diocèse