Cathédrale Saint-Pierre-Saint-Paul de Troyes
Mardi Saint, 4 avril 2023

 

Nous voici rassemblés dans la cathédrale pour la messe par excellence de l’Église, cette messe qui nous enracine dans le don que Dieu fait à son Église pour l’humanité tout entière, cette messe qui remet au centre l’appel que Dieu adresse, l’appel à la sainteté qui s’adresse à chaque fidèle, quel que soit son état, l’appel à le suivre dans le ministère diaconal, sacerdotal et épiscopal, le projet de Dieu de marquer tout être de son sceau, qui n’est autre que le sceau de l’amour total.

Au centre du culte de l’Église, il y a le sacrement. Cela signifie avant tout que ce ne sont pas nous les hommes, qui faisons quelque chose, mais c’est d’abord Dieu : il vient à notre rencontre, il nous regarde, il nous conduit vers lui. Dieu a choisi d’apporter la rédemption en entrant lui-même dans la réalité du monde à travers son incarnation. Il nous touche aujourd’hui par le moyen des réalités matérielles, à travers les dons de la création qu’Il met à notre service ; Il choisit même de faire de ces réalités matérielles des instruments de rencontre entre nous et Lui-même. Nous sommes bien loin d’une vision désincarnée et spiritualiste de Dieu.

Le monde des sacrements s’appuie sur quatre éléments de la création : l’eau, le pain de froment, le vin et l’huile d’olive. L’eau, élément fondamental et indispensable à toute vie, est le signe essentiel de l’acte par lequel on devient chrétien dans le baptême, c’est le signe de la naissance à la vie nouvelle. Les trois autres éléments appartiennent à la culture du monde méditerranéen ; ils renvoient au contexte historique concret dans lequel Dieu est entré et qui est le cadre du premier développement du christianisme. Dieu a agi dans un lieu déterminé, il est entré dans l’histoire, à travers un temps et un lieu spécifique. Ces trois éléments du pain, du vin et de l’huile sont des dons de la création mais renvoie également à des lieux de l’histoire de Dieu avec nous, une sorte de synthèse entre la création et l’histoire.

Le pain renvoie à la vie quotidienne. Don fondamental de la vie, jour après jour. Le vin renvoie à la fête, à la joie des sauvés. L’huile est nourriture et médicament, elle donne beauté, entraîne pour la lutte, procure vigueur. Les rois et les prêtres sont oints avec l’huile, signe de dignité et de responsabilité, comme la force qui vient de Dieu. Le nom de chrétien que nous portons comporte le mystère de l’huile : le mot “chrétiens” vient du mot “Christ” (Ac 11, 20-21), traduction du mot “Messie” qui signifie “Oint”, celui qui a reçu l’onction. Être chrétien signifie provenir du Christ, appartenir à Christ, à l’Oint de Dieu, à Celui auquel Dieu a donné la royauté et le sacerdoce, appartenir à Celui que Dieu lui-même a oint. Le Christ a été oint non par une huile matérielle mais par Celui qui est représenté par l’huile, par son Esprit Saint. L’huile d’olive est symbole de l’imprégnation de l’Homme Jésus par l’Esprit Saint.

Les saintes huiles sont au centre de l’action liturgique : elles sont consacrées par l’évêque pour toute l’année liturgique. Elles expriment l’unité de l’Église garantie par l’épiscopat, elles renvoient au Christ, le vrai pasteur et le gardien de nos âmes (1P 2, 25). Elles font l’unité de toute l’année liturgique ancrée dans la Semaine Sainte. Elles renvoient au Jardin des Oliviers où Jésus a accepté librement sa passion, lieu où Jésus est également monté vers le Père, donc le lieu de la Rédemption. Quatre sacrements comportent l’huile comme signe de la bonté de Dieu qui nous touche : dans le baptême, la confirmation comme sacrement de l’Esprit Saint, dans les divers degrés du sacrement de l’ordre, et enfin dans l’onction des malades. L’huile des malades nous est offerte comme remède de Dieu qui nous rend certains de sa bonté ; elle nous fortifie, nous console, et renvoie au-delà du moment de la maladie, à la guérison définitive, à la résurrection. L’huile nous accompagne ainsi tout au long de la vie, à commencer par le catéchuménat et le baptême, jusqu’au moment où nous nous préparons à la rencontre avec Dieu Juge et Sauveur.

La messe chrismale s’adresse de façon particulière à nous, prêtres : elle nous parle du Christ que Dieu a oint Roi et Prêtre, de Lui qui nous rend participants de son sacerdoce, de son onction, dans notre ordination sacerdotale.

Dans l’antiquité, le mot grec, elaion, l’huile, est relié au mot eleos, miséricorde. Dans les divers sacrements, l’huile est toujours signe de la miséricorde de Dieu. L’onction pour le sacerdoce signifie aussi la charge de porter la miséricorde de Dieu aux hommes. L’huile de la miséricorde ne doit jamais manquer dans la lampe de notre vie. Il faut nous en procurer toujours à temps auprès du Christ (méditation et rencontre avec Dieu dans la Parole, dans la réception des sacrements, dans notre présence priante auprès de Lui.

Dans le livre de la Genèse, l’histoire de la colombe avec le rameau d’olivier annonçait la fin du déluge et la nouvelle paix de Dieu avec le monde des hommes ; depuis, la colombe mais également le rameau d’olivier et l’huile sont devenus symbole de paix. Les chrétiens des premiers siècles aimaient orner les tombes des défunts avec la couronne de la victoire et le rameau d’olivier, symbole de la paix. Le Christ a vaincu la mort et les défunts reposent dans la paix du Christ. La première parole du Ressuscité, comme la parole de l’évêque au début de la célébration, est : « La paix soit avec vous » (Jn 20, 19). Le Christ ressuscité porte lui-même le rameau d’olivier, il fait entrer la paix dans le monde. Il annonce la bonté salvifique de Dieu. Il est notre paix. Chrétiens, il fait partie de notre condition chrétienne d’être des personnes de paix, qui reconnaissent et vivent le mystère de la Croix comme mystère de la réconciliation. Le Christ ne triomphe pas par l’épée mais par la Croix. Il triomphe en dépassant la haine. Il triomphe par la force de son plus grand amour. La Croix du Christ est un non à la violence. C’est le signe de la victoire de Dieu. Celui qui souffre a été plus fort que les détenteurs du pouvoir. Dans le don de lui-même sur la Croix, le Christ a vaincu la violence. Prêtres, nous sommes appelés à être, dans la communion avec Jésus Christ, des hommes de paix, à nous opposer à la violence et à avoir confiance au plus grand pouvoir de l’amour.

L’huile rend fort pour le combat, et cela appartient à la paix. Le combat des chrétiens n’est pas la violence mais le fait d’être prêts à souffrir pour le bien, pour Dieu. C’est ce qui fait que les chrétiens, en bons citoyens, respectent le droit et font ce qui est juste et bon. Ils refusent de faire ce qui n’est pas un droit mais une injustice, selon les dispositions juridiques en vigueur : c’est ainsi qu’ils ont rejeté toute participation au culte idolâtrique et à l’adoration de l’empereur, ils ont refusé de se plier au mensonge, à l’adoration de personnes humaines et de leur pouvoir. Ils portent ainsi haut le pouvoir du droit et de la vérité. Ils servent ainsi la véritable paix. Porteurs de l’onction du Christ, nous ne pouvons accepter une injustice, quand bien même elle serait acceptée par un droit humain ; c’est ce que le Christ attend de ses disciples, particulièrement aujourd’hui lorsque les choix éthiques de la société s’éloignent du projet de Dieu notamment dans le respect de la vie de son commencement à son terme : « Couvert d’insultes, il n’insultait pas ; accablé de souffrances, il ne menaçait pas, mais il confiait sa cause à celui qui juge avec justice. Dans son corps, il a porté nos péchés sur le bois de la croix, afin que nous puissions mourir à nos péchés et vivre dans la justice » (1P 2, 23ss).

Le psalmiste l’exprime avec force en s’adressant au Roi, au Christ : « Tu aimes la justice, tu réprouves le mal. C’est pourquoi Dieu, ton Dieu t’a donné l’onction d’une huile d’allégresse, comme à nul de tes rivaux » (Ps 44, 8). L’huile d’allégresse n’est autre que l’Esprit Saint qui a été répandu sur Jésus-Christ. L’Esprit Saint est l’allégresse qui vient de Dieu. Jésus reverse cette allégresse sur nous dans son Évangile, dans la bonne nouvelle que Dieu nous connaît, qu’il est bon et que sa bonté est un pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, que nous sommes voulus et aimés par Lui. La joie est le fruit de l’amour.

L’huile consacrée est signe de la présence de l’Esprit Saint qui se communique à nous à partir du Christ. Il est l’huile d’allégresse. L’allégresse est la joie qui nous vient du Christ ; une allégresse qui nous donne de partager la souffrance de l’autre, de rendre perceptible la lumière et la bonté de Dieu, comme en témoigne l’huile de l’onction des malades. C’est le mystère des apôtres qui, après avoir été faits flagellés par le Sanhédrin, « repartaient joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus » (Ac 5, 41). Celui qui aime est prêt à souffrir pour la personne aimée, et à cause de son amour, et il fait ainsi l’expérience d’une joie plus profonde. La joie des martyrs était plus forte que les tourments qui leur étaient infligés. Cette joie a vaincu et ouvert au Christ les portes de l’histoire. Comme prêtres, nous sommes « collaborateurs de votre joie » (2Co 1, 24).

Dans le fruit de l’olivier, dans l’huile consacrée, la bonté du Créateur et l’amour du Rédempteur nous touchent. Prions pour que sa joie nous envahisse toujours plus en profondeur ; soyons capables, prêtres, diacres, personnes consacrées, fidèles laïcs, de porter encore à notre monde la joie qui jaillit de la vérité. Amen.

 

+ Alexandre Joly