Cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Troyes
mercredi 23 avril 2025, Octave de Pâques

En ces jours de l’Octave ce Pâques, il nous est donné de marcher avec ces deux disciples qui font route vers Emmaüs, tout tristes. Alors que Jésus est là et marche avec eux, « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24, 16). Pourquoi ne parviennent-ils pas à le reconnaître alors qu’ils ont marché avec lui sur les routes de Galilée ? Le visage de Jésus ressuscité est-il tellement transformé par sa Pâques, par sa mort et sa résurrection qu’il n’est pas possible de le reconnaître ? Faut-il un acte de foi pour découvrir le visage du Ressuscité ? La tristesse voile-t-elle leurs yeux au point de ne pas voir ? Ce qu’ils ont projeté sur Jésus est-il non accordé avec le visage de Jésus tel qu’il le révèle à nos yeux ? Peut-être un peu de tout cela. Jésus les laisse parler, ouvrir leur cœur, avant de se découvrir par le geste de la fraction du pain.

Le récit de l’évangile nous permet de comprendre les sentiments qui habitent le cœur des disciples et la question de Jésus libère le trop-plein de leur cœur. Nous entendons ce qu’ils attendaient ou ce qu’ils n’attendaient plus. On entend leur désir déçu : « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël » (Lc 24, 21). Alors que Jésus aurait pu se dévoiler tout de suite à Cléophas et son compagnon, il prend le temps de relire les Écritures avec eux et de leur montrer la cohérence de sa vie et de sa mission, comment les Écritures ne cessent de parler de lui, jusqu’au mystère du scandale de la croix et la force de la résurrection.

Le geste de la bénédiction et de la fraction du pain ont pour conséquence que « leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (Lc 24, 31). Ce sont des gestes très simples qui deviennent le signe de reconnaissance du Ressuscité. Nous ne savons pas s’ils étaient présents au dernier repas de Jésus, le geste de fraction et de partage peut se référer à un geste ordinaire de Jésus comme à celui de la multiplication des pains, avec de nombreuses allusions dans le récit (cf. Lc 9, 10-17).

Ce geste est l’un des multiples signes qui auraient pu permettre aux disciples de le reconnaître ; ce n’est pas tant le geste qui cause la reconnaissance mais le moment voulu par Jésus pour que les disciples le reconnaissent, avant qu’il ne disparaisse à ses yeux. Le geste de fraction et de bénédiction est comme la confirmation de ce que Jésus leur a expliqué sur le chemin, sa victoire sur la mort et sur le mal. Les disciples ont changé avec la grâce de la Résurrection de Jésus : ils sont capables de découvrir, à travers le signe de la fraction et de la bénédiction, le visage du Christ ; au-delà des signes, ils sont devenus capables de lire les Écritures et d’y découvrir le Sauveur, en repartant plein d’espérance. Cette reconnaissance ne s’arrête pas là : les disciples repartent vers Jérusalem, sans attendre, alors que « le soir approche et déjà le jour baisse » (Lc 24, 29), afin d’annoncer la bonne nouvelle ; plutôt que rester à Emmaüs méditer sur cette leçon d’exégèse de Jésus, leur premier réflexe est de retourner à Jérusalem pour annoncer aux autres qu’ils l’ont rencontré et reconnu. De disciples, ils deviennent missionnaires.

C’est un cadeau d’entendre ce texte d’Évangile alors que le Pape François vient de vivre sa Pâques, au lendemain du dimanche de Pâques, au commencement de l’Octave de Pâques qui nous est donné pour goûter pleinement la joie de Pâques.

Lui qui a commencé son ministère d’évêque de Rome en demandant la bénédiction de la foule rassemblée devant le balcon de la Basilique Saint-Pierre, il a achevé sa mission en donnant une dernière fois la bénédiction urbi et orbi, sur la ville et sur le monde ; et Jésus donne cette ultime bénédiction aux deux disciples en route vers Emmaüs.

Il a commencé son ministère avec une exhortation lumineuse sur la joie de l’Évangile, invitant chaque disciple à se faire missionnaire, rappelant ensuite que l’Église est mission, invitant l’Église entière à entrer dans un chemin de conversion synodale en l’enracinant dans sa dimension missionnaire ; et Jésus transforme ces deux disciples déçus en apôtres de la bonne nouvelle du Ressuscité.

Il a commencé son ministère en invitant à la joie, appel à la joie qui résonne tout au long de son ministère, et il est entré dans le mystère de la mort au cœur du Jubilé où il nous invite à être des pèlerins de l’espérance ; et Jésus transforme la tristesse de Cléophas et de son compagnon en joie que rien ne peut retenir, pas même l’obscurité du monde ni l’heure tardive qui aurait découragé un regard trop réaliste estimant qu’il était trop tard.

Depuis douze ans, les uns et les autres cherchent à comprendre qui est ce Jorge Bergoglio devenu Pape François ; les analyses se multiplient, analyses politiques, analyses en reprenant certaines catégories habituelles du monde, les uns le considérant trop progressiste quand d’autres estiment qu’il est resté conservateur, certains regrettant qu’il ne soit pas allé plus loin quand d’autres lui reprochent d’avoir été trop loin.

Au-delà de leur éventuel intérêt ou pertinence, ces analyses demeurent souvent à l’extérieur de l’homme et ne parviennent pas à écouter le cœur de ce pasteur hors du commun. Synodal ou autoritaire, réformateur ou conservateur, politique ou pastoral, comment comprendre qui est le Pape François ?

La force du Pape François est son enracinement dans les Écritures, dans la radicalité de l’Évangile. Il cherche à être cohérent avec l’enseignement de Jésus, ne pouvant pas se satisfaire d’habitudes ou de compromissions liées à l’histoire et aux vicissitudes du temps. Ses formules ont pu bousculer : n’en était-il pas déjà ainsi pour le Christ qui n’a eu de cesse de faire résonner la Loi nouvelle, sans craindre de déstabiliser les religieux afin de les faire entrer dans une foi plus profonde, plus ajustée, plus cohérente ?

Nous ne pouvons que rendre grâce pour ce pasteur que Dieu nous a donné qui a su faire résonner l’Évangile jusqu’au-delà des limites de l’Église, dans toutes les périphéries, afin que le monde entende l’appel de Dieu à vivre une fraternité universelle, à entrer dans une amitié sociale, à rejeter tout ce qui est contraire au projet de Dieu, bien conscient que seul Dieu sait ce qui est bon pour l’humanité, Lui qui l’a créée et la conduit sur le chemin de l’éternité.

A sa manière, conscient de bénéficier avant tout de la miséricorde de Dieu tout en étant appelé à le suivre, le Pape François n’a eu de cesse de méditer les Écritures pour y découvrir le mystère du Christ afin de le reconnaître dans le visage de ses frères et sœurs, surtout les plus pauvres et les plus petits, les rejetés et les méprisés, les abîmés et les humiliés, joyeux de porter la Bonne Nouvelle qui ouvre tous les possibles, qui fait espérer contre toute espérance, qui donne de croire quand des cœurs trop mondains se sont enfermés dans un soi-disant réalisme, mortifère et immobiliste.

Quand beaucoup cherchent une solution à tout problème ou toute difficulté, le rêve d’une réforme qui changera tout, fidèle à saint Ignace de Loyola et aux traditions bibliques et spirituelles, le Pape François invite au discernement, à l’écoute de l’Esprit Saint pour mieux écouter ses frères, à l’écoute des autres pour mieux écouter l’Esprit Saint, à prendre le temps de trouver un chemin qui conduit, parfois sur les crêtes du combat spirituel, à entrer dans une conversion, un retournement intérieur, qui donne d’ouvrir les yeux et d’emprunter le chemin exigeant qui conduit jusqu’au Père.

Le Pape François nous rappelle que le chrétien est enraciné dans les profondeurs afin de ne pas céder aux vents contraires ni aux sirènes d’un moment mais d’être ouvert aux voix multiples, attentif aux cris des pauvres et au cri de la terre. Il peut alors se laisser émouvoir par les autres, être déstabilisé par les périphéries, ému de compassion en portant la souffrance de ceux qui souffrent, porter l’espérance qu’il puise dans les profondeurs et reçoit des hauteurs : il reste enraciné et porte du fruit à temps et à contretemps.

En rendant grâce pour le ministère du Pape François et en le confiant à la miséricorde de celui dont le nom est Miséricorde, cherchant à apprendre la langue de Dieu et à connaître la langue des personnes que nous rencontrons afin de leur témoigner de notre rencontre avec le Christ, réjouissons-nous de la présence du Christ ressuscité parmi nous, soyons des disciples missionnaires, joyeux de la joie de Dieu et porteurs de l’espérance dont l’Esprit emplit l’Église.

Alexandre Joly
Évêque de Troyes

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